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Med Sci (Paris). 2007 June; 23(6-7): 572–575.
Published online 2007 June 15. doi: 10.1051/medsci/20072367572.

Punaises aquatiques et transmission de Mycobacterium ulcerans

Laurent Marsollier,1,2* Jacques Aubry,3 Geneviève Milon,4 and Priscille Brodin2*

1Groupe d’Étude des Interactions Hôtes UPRES-EA 3142, Université d’Angers, Angers, France
2Équipe Avenir, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm), Institut Pasteur Korea, Séoul, Corée du Sud
3Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm), U601, Université de Nantes, France
4Unité d’Immunophysiologie et Parasitisme Intracellulaire, Institut Pasteur, 25, rue du Docteur-Roux, 75015 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Géographie, Humains, Insectes, Infections à mycobactéries non tuberculeuses, Mycobacterium ulcerans, Eau

L’ulcère de Buruli : une infection à Mycobacterium ulcerans

L’ulcère de Buruli est causé par une mycobactérie environnementale : Mycobacterium ulcerans. Cette maladie infectieuse sévit surtout dans les régions tropicales humides en particulier dans l’Afrique de l’Ouest où elle est endémique (Figure 1). C’est la troisième mycobactériose humaine après la lèpre et la tuberculose, mais, dans certaines zones rurales de plusieurs pays (Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana), le taux de prévalence de l’ulcère de Buruli est supérieur à celui de la lèpre et de la tuberculose. C’est ce qui a amené l’OMS à agir, et en 1998, à déclarer l’ulcère de Buruli « maladie émergente  ».

La maladie, qui touche principalement les enfants, évolue d’abord sous forme d’un nodule, ou d’un placard, accompagné souvent d’un œdème. Puis se développe une ulcération cutanée plus ou moins étendue pouvant atteindre l’os. La destruction tissulaire est due à la production d’une toxine, la mycolactone (d’une famille de macrolides toxiques) qui est le facteur principal de virulence de M. ulcerans [ 1]. La phase ulcérative aboutit souvent à des invalidités ou des handicaps moteurs avec des conséquences socio-économiques désastreuses.

Encore très récemment, le traitement était limité à des soins chirurgicaux par une excision large des parties atteintes jusqu’à la peau saine, nécessitant une greffe cutanée de parage. Le coût élevé de ce traitement limitait l’accès aux soins pour les malades. La démonstration, chez des souris infectées par M. ulcerans, de l’efficacité de l’association de deux antibiotiques, la rifampicine et l’amikacine, a contribué à la réalisation de deux études thérapeutiques pilotes qui ont confirmé l’intérêt de cette antibiothérapie puisque la moitié des patients a été guérie sans avoir recours à la chirurgie [ 2]. À l’heure actuelle, il n’existe pas de vaccin spécifique dirigé contre M. ulcerans et l’efficacité de la vaccination BCG est, pour les formes cutanées, fort controversée [ 3, 4].

M. ulcerans et système immunitaire

Dans la mesure où M. ulcerans a un tropisme principalement cutané, il importe d’étudier les interactions bacille-système immunitaire dans le contexte peau et ganglion. Au niveau de la peau, jusqu’à très récemment il avait été estimé que le développement de M. ulcerans se déroulait au niveau de la matrice extracellulaire. Or, ces bactéries ont été détectées au sein de macrophages où elles s'y développent [ 5]. L'un des scénarios possible serait le suivant : au moins pendant les phases précoces dans le derme/hypoderme les bactéries seraient intracellulaires. Pendant la phase intracellulaire précoce avant que ne soit présente à des concentrations toxiques la mycolactone, la synthèse du facteur nécrosant des tumeurs TNF est inhibée mais celle de MIP-2 est induite, cette dernière chimiokine contribuant à l'initiation et au maintien des processus inflammatoires [ 6]. Ensuite, une partie de la population bactérienne devient extracellulaire dans des zones tissulaires nécrotiques et l'autre partie de la population est intracellulaire à la périphérie de la zone de nécrose.

Écologie et transmission de M. ulcerans

Malgré les progrès diagnostiques et thérapeutiques de ces dernières années, plusieurs questions fondamentales subsistent touchant à l’écologie et au mode de transmission de M. ulcerans à l’homme et cette méconnaissance retarde la mise en place de mesures préventives voire protectrices. S’il n’y a pas de transmission inter-humaine du bacille, l’homme se contaminerait au contact de l’environnement aquatique. L’incidence croissante de la maladie et l’apparition de nouveaux foyers d’infection suggèrent que les bouleversements écologiques (déforestation, aquaculture, création de lacs artificiels, irrigation) ont favorisé le développement du, ou d’un, vecteur.

Dans ce contexte, et à l’aide d’un modèle expérimental d’infection à M. ulcerans nous avons rapporté plusieurs caractéristiques originales de M. ulcerans. Nous nous étions tout d’abord interrogés sur le rôle possible des punaises aquatiques dans la transmission de M. ulcerans. Ces insectes qui appartiennent à l’ordre des hémiptères aquatiques vivent habituellement dans les marécages, les étangs ou les petits cours d’eau à faible débit. Ce sont des carnivores exclusifs qui se dissimulent parfaitement dans la végétation aquatique où ils capturent aisément leurs proies (poissons, batraciens, mollusques, larves d’insectes…). Aussitôt après l’avoir saisie par ses pattes antérieures, dites ravisseuses, l’insecte enfonce les stylets de son rostre dans les tissus de la proie, et, les stylets étant reliés par des canaux aux glandes salivaires, sécrète un puissant suc digestif aux propriétés paralysantes et protéolytiques. Les tissus de la proie ainsi prédigérés sont alors aspirés. Par ailleurs, les punaises n’hésitent pas à piquer l’homme lorsque celui-ci est à proximité ou les saisit accidentellement.

Compte tenu de leur présence ubiquitaire et de la similitude de leurs propriétés physiologiques dans les différentes régions du monde, des Naucoris adultes, capturées dans l’ouest de la France et maintenues en captivité dans des aquariums ont été utilisées pour l’étude. Plusieurs semaines après qu’elles aient absorbé un repas contenant M. ulcerans, ces punaises ont été mises en présence de la queue de souris, ce qui a entraîné des piqûres, et plusieurs mois après, le développement de lésions induites par M. ulcerans [ 7].

Une étude histologique a montré une localisation prépondérante sinon exclusive du bacille dans les glandes salivaires des punaises, et ce, paradoxalement, sans aucun dommage du parenchyme tissulaire malgré la capacité du bacille à produire une toxine cytotoxique [ 8, 9].

Par ailleurs, nous avons rapporté que des plantes aquatiques servaient de support à la formation de biofilms [ 10, 11] et pouvaient être à l’origine de la contamination transitoire de proies phytophages (mollusques) des punaises. Un travail de terrain réalisé dans des zones endémiques au Bénin a permis de confirmer la validité des données sur l’écologie et la transmission de M. ulcerans des végétaux aquatiques à l’homme via des punaises d’eau [8]. Cependant, nous ne pouvons pas exclure d’autres modes de contamination de l’homme. L’aptitude au vol de ces insectes ne doit pas être négligée car elle peut faciliter la création de nouveaux foyers.

Rôle protecteur de la salive d’insecte contre le développement de lésions à M. ulcerans

Frappés par le fait que les pêcheurs africains les plus exposés aux piqûres d’insectes aquatiques étaient les moins atteints par l’ulcère de Buruli, nous avons émis l’hypothèse selon laquelle des piqûres régulières d’insectes sains pouvaient conférer une protection contre la formation de lésions à M. ulcerans. Dans le modèle murin que nous avons développé, des souris exposées à des piqûres de naucoris saines non infectées développaient rarement des lésions lors d’une infection ultérieure par M. ulcerans. La protection conférée aux souris par les piqûres d’insectes non infectés est associée à la production d’anticorps réagissant contre les protéines salivaires de naucoris, protéines qui entourent M. ulcerans pendant son séjour dans les glandes salivaires, et sont transmises avec le parasite lors de la piqûre. Ainsi, le parasite serait une cible « innocente  » de cette réaction immune qui n’est pas dirigée directement contre lui [9]. Le même mécanisme protecteur surviendrait chez l’homme, puisqu’une analyse sérologique mesurant les immunoglobulines G reconnaissant des constituants du suc salivaire des punaises, réalisée en zone endémique, a montré chez les patients présentant des lésions à M. ulcerans un taux d’IgG inférieur à celui de sujets exposés aux piqûres des insectes mais sans lésion [6]. Ces observations rappellent l’immunité protectrice conférée par une exposition préalable aux protéines salivaires des tiques et des phlébotomes vecteurs des micro-organismes responsables de la leishmaniose ou de la maladie de Lyme. Mais, pour ces deux cas, les arthropodes incriminés sont hématophages contrairement aux punaises aquatiques qui sont des carnivores. Les conséquences de ces observations sont importantes non seulement parce qu’elles identifient une signature immunitaire utile aux études épidémiologiques et à un dépistage précoce de l’ulcère de Buruli, mais aussi parce qu’elles constituent une première étape vers une meilleure compréhension de l’immunité contre cette maladie, une meilleure caractérisation des molécules salivaires liant M. ulcerans pouvant éventuellement conduire à envisager une approche vaccinale.

 
Acknowledgments

Ces travaux ont reçus le soutien de la Fondation Raoul Follereau, de l’université et CHU d’Angers, l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm), de l’Institut Pasteur et de ses réseaux (PTR 212).

References
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7.
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